Votre voisin vient d’installer des panneaux solaires sur son toit et vous vous surprenez à compter mentalement les tuiles en regardant le vôtre. Combien ça produirait chez vous ? Est-ce que ça vaut vraiment la peine en Suisse, avec le prix de l’électricité, les subventions, l’hiver, la neige ?
La bonne nouvelle : vous n’avez pas besoin d’être ingénieur ni de passer vos soirées dans un fichier Excel pour y voir clair. En Suisse, plusieurs outils gratuits permettent de calculer de manière assez fiable le rendement potentiel de panneaux solaires sur VOTRE toit, avec vos paramètres (surface, orientation, consommation, budget).
On va passer en revue ces outils, voir ce qu’ils valent, comment ne pas se faire piéger par les chiffres trop optimistes, et surtout comment les utiliser pour prendre une vraie décision de propriétaire, pas juste rêver devant un simulateur en ligne.
Deux notions à comprendre avant d’ouvrir un simulateur
Avant de cliquer partout, deux concepts reviennent dans tous les calculateurs :
- kWc (kilowatt-crête) : c’est la puissance maximale théorique de votre installation, dans des conditions idéales d’ensoleillement. Par exemple, 10 kWc pour une grosse villa bien équipée.
- kWh/an (kilowattheure par an) : c’est l’énergie réellement produite sur une année. C’est ce chiffre qui compte pour vos factures et pour amortir votre investissement.
En Suisse, une règle pratique : 1 kWc de panneaux bien orientés produit en moyenne 900 à 1’100 kWh par an, selon la région (plutôt 900 en plaine du Plateau, plus près de 1’100 au Tessin ou en altitude). Source : ordres de grandeur utilisés par l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) et les principaux acteurs de la branche.
Gardez ça en tête : si un simulateur vous promet 1’400 kWh/kWc sans explication, méfiance.
Première étape : vérifier si votre toit est vraiment adapté
Avant de parler rendement financier, il faut savoir si votre toit est « solairement » intéressant. En Suisse, l’outil de base pour ça, c’est Sonnendach.
Sonnendach (OFEN)
Développé par l’Office fédéral de l’énergie, Sonnendach (recherchez « Sonnendach OFEN » dans un moteur de recherche) cartographie quasiment tous les toits de Suisse.
Que permet cet outil ?
- Saisir votre adresse et voir votre toit en 2D ou 3D.
- Connaître le potentiel solaire technique de votre bâtiment (toit + parfois façades).
- Obtenir une estimation de la production annuelle possible en kWh.
- Savoir quelle partie du toit est la plus intéressante (en couleur : excellent, bon, moyen).
D’où viennent les données ? De relevés laser (LIDAR), de modèles 3D du bâti suisse et de données d’ensoleillement sur plusieurs années. On n’est pas au centime près, mais pour une première estimation, c’est très solide.
Ce que Sonnendach ne dit pas (assez)
L’outil ne connaît pas :
- La présence d’arbres qui ont poussé récemment.
- Les projets futurs (immeuble voisin qui pourrait faire de l’ombre).
- Les contraintes architecturales ou patrimoniales (zone protégée, etc.).
Donc : utilisez Sonnendach comme une photo aérienne intelligente, pas comme un devis signé. Si votre toit apparaît en « bon » ou « très bon potentiel », ça vaut la peine d’aller plus loin.
Deuxième étape : estimer la production annuelle en kWh
Une fois que vous savez que votre toit est intéressant, l’enjeu c’est : combien de kWh par an pouvez-vous espérer ?
Pour cela, plusieurs outils sérieux :
PVGIS (Commission européenne)
PVGIS est un simulateur de production photovoltaïque développé par le Centre commun de recherche de la Commission européenne. Il couvre toute l’Europe, donc la Suisse, avec des données météo de long terme.
Concrètement, vous pouvez :
- Indiquer l’emplacement précis (coordonnées ou adresse proche).
- Choisir l’orientation et l’inclinaison des panneaux.
- Définir la puissance de l’installation (par exemple 8 kWc).
- Ajouter des pertes (câbles, onduleur, poussière ; en général on prend 10–14 %).
En sortie, PVGIS donne :
- La production mensuelle attendue (utile pour voir la différence hiver/été).
- La production annuelle totale (kWh/an).
- Une estimation de la variabilité d’une année sur l’autre.
L’intérêt : on peut jouer sur les paramètres (orientation Est/Ouest vs Sud, inclinaison 15° vs 30°…) et voir comment ça impacte la production.
Simulateurs suisses simplifiés
Plusieurs acteurs romands et suisses proposent aussi des calculateurs plus « grand public » :
- Calculateur de Swissolar (association faîtière du solaire suisse) : permet d’entrer simplement surface, type de bâtiment, canton, et donne un ordre de grandeur de production.
- Outils d’energie-environnement.ch (plateforme soutenue par de nombreux cantons) : fiches pratiques + petits calculateurs pour estimer la production et l’autoconsommation.
- Simulateurs de certains fournisseurs d’électricité (Romande Energie, Groupe E, BKW, etc.), souvent liés à une demande d’offre.
Ces outils ne remplacent pas un dimensionnement professionnel, mais ils sont précieux pour avoir des bornes réalistes avant de contacter des installateurs.
Troisième étape : relier production et consommation réelle
Un kWh produit ne vaut pas la même chose selon que vous le consommez vous-même ou que vous le revendez au réseau.
Ordres de grandeur typiques en Suisse (les chiffres varient selon les régions et années, mais la logique reste la même) :
- Prix de l’électricité pour un ménage : souvent entre 0,20 et 0,30 CHF/kWh (énergie + réseau + taxes).
- Tarif de rachat du surplus photovoltaïque : souvent 0,06 à 0,18 CHF/kWh selon le gestionnaire de réseau.
Si vous consommez directement votre électricité solaire, vous « économisez » 0,20–0,30 CHF/kWh. Si vous vendez le surplus, vous n’encaissez que 0,06–0,18 CHF/kWh. L’écart est énorme.
C’est pour ça que les meilleurs simulateurs intègrent la notion d’autoconsommation : la part de votre production que vous utilisez chez vous (frigo, lave-linge, voiture électrique, pompe à chaleur…) au moment même où elle est produite.
En pratique, pour une villa suisse typique :
- Sans gestion spécifique, on observe souvent 30 à 40 % d’autoconsommation.
- Avec quelques ajustements (lancement des machines en journée, charge VE, boiler électrique contrôlé), on peut monter à 50–60 %.
- Avec batterie domestique, on peut aller plus haut, mais l’économie supplémentaire doit être comparée au coût de la batterie.
Plusieurs simulateurs des distributeurs d’électricité ou d’entreprises solaires vous permettent d’entrer votre profil de consommation (kWh/an, chauffage électrique ou non, voiture électrique, etc.) et estiment votre taux d’autoconsommation. Là encore, ce n’est pas parfait, mais ça donne un cadre.
Quatrième étape : chiffrer l’investissement et les aides en Suisse
Un rendement, ça se calcule en mettant face à face ce que ça rapporte et ce que ça coûte.
Coûts typiques d’une installation photovoltaïque
Les coûts varient selon la taille, le type de panneaux, la complexité du toit, mais en Suisse, pour une installation résidentielle, on est souvent dans ces eaux-là (hors subventions) :
- 1’200 à 1’800 CHF/kWc pour une installation de taille moyenne (8–15 kWc).
Exemple : une installation de 10 kWc peut donc coûter de l’ordre de 12’000 à 18’000 CHF hors TVA, hors éventuels renforcements de toiture.
Subventions et soutiens
En Suisse, il y a principalement :
- La Rétribution unique (RU) de Pronovo (mandaté par la Confédération), qui verse une subvention unique basée sur la puissance installée. L’ordre de grandeur est de quelques centaines de CHF par kWc, dégressifs avec la taille. Les montants exacts sont publiés sur le site de Pronovo.
- Des aides cantonales ou communales, selon les régions, parfois cumulables avec la RU (mais ce n’est pas systématique).
- Des avantages fiscaux : dans la plupart des cantons, les coûts d’investissement dans les économies d’énergie et les énergies renouvelables sont déductibles du revenu imposable.
Un simulateur ne peut pas toujours intégrer toutes les spécificités cantonales, mais certains outils romands (par exemple ceux d’energie-environnement.ch) donnent au moins les grands principes et des liens vers les pages officielles par canton.
Ne pas oublier les coûts annexes
- Remplacement de l’onduleur après 10–15 ans (ordre de grandeur : 1’000 à 3’000 CHF pour une installation résidentielle).
- Éventuels frais de raccordement ou d’adaptation du compteur (variable selon le gestionnaire de réseau).
- Nettoyage ou entretien sur toits très exposés à la pollution ou aux poussières (souvent limité en Suisse, sauf cas particuliers).
Cinquième étape : calculer un vrai rendement financier
Une fois que vous avez :
- La production annuelle estimée (par exemple 10’000 kWh/an).
- Votre taux d’autoconsommation estimé (par exemple 50 %).
- Les tarifs d’électricité et de rachat locaux.
- Le coût net de l’installation après subventions et fiscalité.
Vous pouvez faire le calcul. Illustration avec un exemple simplifié typique pour une villa en Suisse romande :
- Installation de 10 kWc, coût brut : 16’000 CHF.
- Subvention RU + aides locales : -4’000 CHF (hypothèse). Coût net : 12’000 CHF.
- Production estimée : 10’000 kWh/an.
- Taux d’autoconsommation : 50 %.
- Prix de l’électricité achetée au réseau : 0,24 CHF/kWh.
- Tarif de rachat du surplus : 0,10 CHF/kWh.
Recette annuelle :
- 5’000 kWh autoconsommés × 0,24 CHF = 1’200 CHF d’économies.
- 5’000 kWh vendus × 0,10 CHF = 500 CHF de revenu.
Total : 1’700 CHF/an. Temps de retour simple : 12’000 / 1’700 ≈ 7 ans.
Évidemment, ce calcul ne tient pas compte :
- De l’augmentation probable du prix de l’électricité sur 20 ans.
- Des éventuels coûts de remplacement (onduleur).
- De l’inflation.
Mais il donne un ordre de grandeur. Pour raffiner, plusieurs simulateurs proposés par les fournisseurs d’électricité ou les entreprises solaires intègrent directement ces paramètres et produisent des graphiques de flux de trésorerie sur 20–25 ans.
Les pièges classiques des calculateurs « miracle »
Internet regorge aussi d’outils plus ou moins neutres. Quelques signaux d’alerte :
- Rendements irréalistes : si un simulateur promet systématiquement plus de 1’200 kWh par kWc/an partout en Suisse, c’est qu’il pousse les paramètres à l’extrême.
- Oubli des pertes : un système réel perd 10–14 % entre les panneaux et le compteur (onduleur, câbles, température, poussière). Si un calcul ne prévoit que 3–4 % de pertes, c’est optimiste.
- Tarifs d’électricité figés : certains outils utilisent des prix de l’électricité non mis à jour, ou des tarifs de rachat particulièrement élevés qui ne reflètent plus la réalité.
- Suppression des coûts de maintenance : ne pas prévoir un remplacement d’onduleur sur 25 ans, c’est embellir artificiellement le rendement.
- Modèle opaque : si le site ne cite aucune source, ne donne aucune hypothèse et demande vos coordonnées avant d’afficher le moindre résultat, on n’est plus dans la neutralité.
Un bon réflexe : comparer les résultats de deux ou trois simulateurs différents. S’ils sont dans la même fourchette, vous avez une base crédible. Si l’un d’entre eux est très au-dessus, posez des questions.
Check-list pratique pour un propriétaire en Suisse
Pour passer du vague projet à une décision éclairée, une approche simple en cinq points :
- 1. Vérifier le toit
Utilisez Sonnendach pour :- Visualiser le potentiel de votre toit.
- Identifier la surface la plus rentable (souvent Sud, Sud-Est, Sud-Ouest).
- 2. Estimer la production
Avec PVGIS ou un simulateur sérieux, calculez :- La production annuelle selon différentes configurations.
- La répartition mensuelle (utile pour dimensionner en fonction de votre chauffage ou de votre VE).
- 3. Rassembler vos chiffres
Avant d’aller plus loin, prenez :- Vos factures d’électricité des 12–24 derniers mois (kWh/an, CHF/an).
- Vos projets à moyen terme (VE, pompe à chaleur, extension de maison).
- Les coordonnées de votre gestionnaire de réseau pour connaître le tarif de rachat.
- 4. Se renseigner sur les aides
Visitez les sites de :- Pronovo (montants de la Rétribution unique).
- Votre canton et votre commune (aides complémentaires, conditions, formulaires).
- 5. Demander plusieurs offres
Contactez au moins 3 installateurs en leur transmettant vos estimations de production. Comparez :- Le coût total (CHF/kWc).
- Les hypothèses de production (kWh/an) et d’autoconsommation.
- La qualité du matériel (marque des panneaux, garantie, onduleur).
- Les services inclus (démarches administratives, monitoring, maintenance).
Pourquoi le contexte suisse change un peu la donne
En Suisse, le calcul du rendement des panneaux solaires ne se fait pas dans le vide. Trois particularités pèsent lourd :
- Un mix électrique déjà assez bas carbone : le réseau suisse est fortement alimenté par l’hydraulique et le nucléaire. Installer des panneaux ne « décrasse » donc pas un système au charbon, mais il renforce la production renouvelable locale, ce qui devient crucial avec l’électrification (voitures, pompes à chaleur).
- Des hivers marqués : la production en décembre-janvier est faible, mais pas nulle, surtout en altitude où l’ensoleillement peut être bon malgré le froid (qui, lui, améliore le rendement des panneaux). L’effet « neige » dépend du toit et de la fréquence de déneigement.
- Des tarifs et aides très locaux : d’un canton à l’autre, et même d’une commune à l’autre, les modèles d’encouragement et les tarifs de rachat changent. Un simulateur national donne une tendance, mais pour le rendement précis, il faut toujours revenir aux conditions locales.
C’est aussi pour ça que les meilleurs outils restent ceux qui sont soit publics (OFEN, PVGIS, plateformes cantonales), soit fournis par votre propre distributeur d’électricité avec des données à jour.
Et maintenant, quoi faire de tous ces chiffres ?
En résumé, les outils de calcul de rendement ne sont pas là pour remplacer les installateurs ou les experts, mais pour vous mettre en position de poser les bonnes questions. Une fois que vous avez vos propres estimations en main, la discussion avec un professionnel change totalement de ton :
- Vous pouvez challenger un devis qui promet 30 % de production de plus que PVGIS.
- Vous voyez tout de suite si l’installateur surestime votre autoconsommation sans proposer de solutions (programmation d’appareils, VE, boiler, etc.).
- Vous distinguez ce qui relève de la technique (orientation, inclinaison, pertes) de ce qui relève du marketing.
Au final, un bon projet solaire en Suisse, ce n’est pas seulement un toit bien exposé. C’est un contrat clair entre votre maison, votre réseau électrique local, votre budget et vos habitudes de vie. Les calculateurs en ligne sont votre boîte à outils pour que ce contrat soit juste, compréhensible, et rentable sur 20 ans… pas seulement sur un beau PDF commercial.
Et si, en regardant à nouveau le toit de votre voisin, vous vous surprenez à faire de rapides règles de trois en kWh dans votre tête, c’est plutôt bon signe : vous avez déjà commencé à penser comme un producteur d’énergie.