Scène classique : le planning des vacances arrive sur la table du salon, les enfants rêvent de plage et de parc d’attractions, les parents regardent le compte en banque… et quelque part dans la discussion, trois mots tombent comme un couperet : « impact carbone », « climat », « surconsommation ». Comment partir sans culpabiliser, surtout en famille, et sans vendre un rein ?
Partir en vacances de manière plus écoresponsable, ce n’est pas forcément plus cher. À condition d’accepter deux règles du jeu : planifier un minimum et sortir des réflexes « tout compris – avion – resort ». Une fois ces deux réflexes bousculés, les options s’ouvrent très vite, surtout en Suisse et en Europe.
Ce qui pèse vraiment sur l’empreinte de vos vacances
Avant de changer quoi que ce soit, il vaut la peine de savoir où se joue l’essentiel de l’impact. Selon l’ADEME (agence française de la transition écologique) et plusieurs études européennes sur le tourisme, trois postes dominent largement :
- Le transport (surtout l’avion, puis la voiture individuelle)
- L’hébergement (construction du bâtiment, chauffage/climatisation, gestion de l’eau)
- Les activités (parcs d’attractions, croisières, sports motorisés, etc.)
Le reste (souvenirs, maillots de bain, crème solaire) compte, mais beaucoup moins. Autrement dit : si vous optimisez déjà ces trois gros blocs, vous avez gagné l’essentiel de la bataille… et souvent fait baisser la facture.
Choisir la destination : plus près, mais pas moins dépaysant
Non, vacances écoresponsables ne veut pas forcément dire « rester sur son balcon ». Par contre, jouer sur la distance a un effet massif.
À titre d’ordre de grandeur, un aller-retour Genève–Barcelone en avion émet en moyenne plus de 300 kg de CO₂ par personne. Le même trajet en train descend sous les 40 kg, parfois moins en fonction du mix électrique. L’avion va plus vite, mais la question à se poser est simple : avez-vous besoin d’être à 1 000 km de chez vous pour avoir l’impression de « décrocher » ?
Une approche pragmatique :
- Rayon 0–500 km : privilégier le train, le car longue distance ou la voiture remplie (4–5 personnes).
- Rayon 500–1 000 km : comparer sérieusement train + nuitée à bord (couchettes) ou car de nuit.
- Au-delà : si l’avion est incontournable, partir moins souvent mais plus longtemps, au lieu de multiplier les city-trips.
Pour une famille, la bonne surprise, c’est que les destinations proches sont souvent les plus économiques, une fois qu’on additionne les billets, les transferts et les frais sur place. Quelques exemples accessibles depuis la Suisse :
- Sud de l’Allemagne, Autriche, Tyrol italien : montagnes, lacs, randonnées, accès facile en train ou en car.
- France voisine (Jura, Alsace, Savoie) : gîtes, campings, villages, souvent moins chers que les stations helvétiques.
- Italie du Nord : lacs, villes d’art, trains directs depuis la Suisse.
L’exotisme, ce n’est pas seulement la distance, c’est surtout ce que vous faites de vos journées.
Transport : baisser le CO₂ sans exploser les coûts
En famille, le train a souvent mauvaise presse : « trop cher », « trop compliqué ». Pourtant, en comparant à armes égales, il s’en sort souvent mieux que l’avion + location de voiture, surtout si vous anticipez.
Quelques leviers concrets :
- Réserver tôt : en Suisse comme dans l’UE, les billets dégriffés ou les offres « Super Saver » peuvent diviser le prix par deux, voire plus.
- Profiter des cartes de réduction : carte demi-tarif en Suisse, cartes jeunes/enfants, abonnements de réseau régionaux, etc.
- Tester les trains de nuit : ils reviennent en force en Europe. Certes moins glamour que sur Instagram, mais vous économisez une nuit d’hôtel et du temps de trajet.
- Comparer avec une voiture remplie : une voiture avec quatre personnes reste acceptable en termes d’empreinte par personne, surtout sur des distances raisonnables. L’enjeu est alors de limiter la vitesse (la consommation explose après 120 km/h) et de mutualiser les trajets une fois sur place.
Et l’avion ? Si vous y recourez :
- Évitez les allers-retours très courts (week-ends)
- Choisissez des vols directs quand c’est possible (moins de phases de décollage/atterrissage, moins de risques de retards)
- Regroupez les voyages lointains : mieux vaut un grand voyage tous les 3–4 ans qu’un vol moyen-courrier chaque été
Les compensations carbone peuvent avoir un intérêt, mais elles ne remplacent pas la réduction à la source. Pensez-les comme un « plus », pas comme un permis de polluer.
Hébergement : sortir du réflexe « hôtel standard »
L’hébergement est le deuxième gros poste d’impact… et de budget. Là aussi, quelques arbitrages intelligents peuvent réduire les deux en même temps.
Options à considérer :
- Le camping (ou glamping light) : tentes, bungalows, pods en bois. Moins de béton, plus de sobriété énergétique, et souvent l’option la plus économique pour une famille. Certains campings labellisés (par exemple selon des normes environnementales européennes) gèrent mieux l’eau, les déchets et l’énergie.
- Les locations chez l’habitant : appartements, maisons, chambres d’hôtes. L’impact dépend beaucoup des pratiques, mais vous avez généralement une cuisine (moins de restaurants), de la flexibilité et la possibilité de discuter avec des locaux.
- Les hébergements certifiés « durables » : labels comme EU Ecolabel, Green Key, etc. À vérifier : consommation énergétique, gestion de l’eau, produits d’entretien, offre de transports doux.
Un critère souvent oublié : l’emplacement. Un hôtel bon marché mais isolé oblige à prendre la voiture tous les jours. Un hébergement légèrement plus cher mais bien placé (centre de village, proche des transports publics) peut devenir plus économique au final.
Avant de réserver, poser trois questions au propriétaire ou à l’établissement :
- Comment est chauffé/climatisé le logement ? (préférence pour les systèmes efficaces, climatisation raisonnable, possibilité de réguler soi-même)
- Y a-t-il des solutions pour trier les déchets ?
- Est-ce possible de venir sans voiture (train, bus, navette) ?
Les réponses vous diront beaucoup sur la cohérence réelle de la démarche « verte » affichée.
Manger sur place : mieux pour la planète, mieux pour le portefeuille
Le poste alimentation est souvent sous-estimé dans le budget vacances. Surtout en famille. Là aussi, l’écologie rejoint le bon sens économique.
- Privilégier les marchés locaux : fruits, légumes, fromages, pain. Moins d’emballages, produits de saison, et souvent moins cher que les supermarchés des zones touristiques.
- Éviter le « tout resto » : viser 1 restaurant par jour (ou tous les deux jours) et préparer les autres repas au logement ou en pique-nique.
- Regarder la carte avec un œil « carbone » : plats végétariens, poissons locaux, produits de la mer issus de pêches durables quand ils sont disponibles. Un plat simple + une glace locale fait souvent plus plaisir qu’un menu XXL industriel.
- Chasse au gaspillage : en vacances, on a tendance à sur-acheter « pour être tranquille ». Mieux vaut faire des courses plus fréquentes, en plus petites quantités, surtout pour les produits frais.
Astuce pratique : arriver avec une « trousse de base » dans la voiture ou le sac de voyage : sel, poivre, quelques épices, un peu d’huile, boîtes ou sacs réutilisables. Vous évitez d’acheter des conditionnements entiers pour deux semaines.
Activités : plaisir maximum, empreinte minimale
C’est souvent là que les enfants (et les ados) vous attendent. Bonne nouvelle : les activités les plus mémorables ne sont pas forcément les plus polluantes ni les plus chères.
Dans la catégorie « faible impact, haut potentiel de souvenirs » :
- Randonnées adaptées aux enfants, avec un but clair (cascade, lac, ruines, refuge)
- Balades à vélo (location de vélos classiques ou cargos pour les plus petits)
- Exploration de rivières, lacs, forêts (avec carnet de bord pour observer la faune et la flore)
- Visites de fermes, ateliers de fromages, récoltes de fruits
- Museums interactivs, écomusées, centres de sciences
Ce qui pèse lourd côté carbone et budget :
- Parcs d’attractions géants, surtout accessibles uniquement en voiture
- Sports motorisés (jetskis, quads, bateaux à moteur puissants)
- Croisières courtes « pour voir » (les mini-croisières cumulent gros bateau + déplacements)
Pas besoin de tout bannir : l’idée est plutôt de les considérer comme des exceptions, pas comme le centre des vacances.
Au passage, intégrer un peu de « pédagogie légère » fonctionne souvent bien avec les enfants : les impliquer dans le choix des activités, leur expliquer pourquoi on privilégie certaines options, leur confier un « rôle » (gardien des gourdes, responsable des déchets, photographe de la faune…).
Budget : comment éviter l’effet « vacances, donc no limit »
Qui dit vacances écoresponsables ne dit pas camping spartiate et frustration permanente. Mais mettre des garde-fous financiers évite les mauvaises surprises… et limite aussi certaines dérives de consommation.
Approche simple, en quatre enveloppes mentales :
- Transport : billets, péages, carburant. C’est souvent ce qui doit être verrouillé le plus tôt.
- Hébergement : montant total / nombre de nuits = coût par nuit, à comparer entre options.
- Repas : fixer un budget maximum par jour et par personne (par exemple 20–25 CHF pour la nourriture si une partie est cuisinée sur place).
- Activités et extras : définir un « pot commun » pour les entrées payantes, les glaces, les souvenirs.
Deux réflexes pour garder le cap :
- Réserver l’essentiel en avance (transport, hébergement) pour lisser les coûts et éviter les décisions impulsives de dernière minute.
- Accepter de renoncer à certaines options : dire non au troisième parc aquatique n’en fera pas des vacances ratées. Expliquez le choix, plutôt que de prétexter un manque d’argent si ce n’est pas la vraie raison.
Enfin, ne sous-estimez pas le poids des « petites dépenses » : cafés, snacks, gadgets de plage. Un bon réflexe : prévoir une gourde pour chaque membre de la famille et quelques encas simples achetés en supermarché.
Préparer les enfants (et les ados) au mode « vacances durables »
Vous pouvez avoir le meilleur plan du monde, s’il est vécu comme une punition par vos enfants, l’ambiance va vite se dégrader. Autant les embarquer dès la préparation.
Idées concrètes :
- Choix de la destination : proposer 2–3 options réalistes et les laisser voter. Ressortir la carte, montrer les temps de trajet, comparer l’empreinte carbone de manière simple (par exemple avec un simulateur en ligne).
- Définir ensemble « ce qui compte » : plage ? animaux ? ville ? montagne ? L’objectif est que chacun ait au moins une attente forte satisfaite.
- Leur confier un mini-budget personnel : un montant fixé à l’avance qu’ils peuvent utiliser pour leurs propres plaisirs (souvenirs, glaces), une fois épuisé, c’est terminé.
- Jeux et défis : carnet de bord des vacances, chasse aux timbres locaux, concours de pique-niques zéro déchet, etc.
L’idée n’est pas de transformer chaque jour en cours sur le climat. Mais de montrer, par l’exemple, qu’on peut voyager autrement sans perdre le plaisir.
Check-list pratique pour des vacances écoresponsables en famille
Pour passer du principe à la pratique, quelques questions à passer en revue avant de cliquer sur « réserver ».
- Transport
- Ai-je comparé sérieusement train / car / voiture / avion sur le trajet envisagé ?
- Peut-on réduire une correspondance en avion ou éviter un aller-retour inutile ?
- Le lieu est-il accessible en transports publics une fois sur place ?
- Hébergement
- L’hébergement est-il dans un périmètre où l’on peut faire un maximum de choses à pied ou à vélo ?
- Y a-t-il une cuisine ou kitchenette pour éviter le « full resto » ?
- Existe-t-il des preuves concrètes d’une démarche environnementale (labels, infos détaillées, pas juste un logo vert sur le site) ?
- Activités
- Au moins 60–70 % des activités prévues sont-elles peu émettrices (balades, baignade, visites locales) ?
- Avons-nous limité les activités très coûteuses et carbonées à quelques moments clés ?
- Budget
- Le budget total est-il découpé par poste, avec un ordre de priorité ?
- Ai-je prévu une marge pour les imprévus, sans compter sur la carte de crédit comme plan de secours ?
- Équipement
- Chaque membre de la famille a-t-il une gourde, un sac de courses réutilisable, éventuellement une petite boîte pour les restes ?
- Avons-nous déjà ce qu’il faut en vêtements / matériel, ou sommes-nous en train d’acheter « spécial vacances » ce que nous possédons déjà sous une autre forme ?
Changer de réflexe, pas de vie
Organiser des vacances écoresponsables en famille n’est ni un parcours du combattant, ni un loisir réservé à une minorité militante. C’est surtout une façon de remettre quelques priorités à plat : ce qui compte vraiment, ce que vous êtes prêt à payer (en francs comme en CO₂), et ce qui relève davantage de l’automatisme que du choix.
En résumé, trois leviers pèsent très lourd :
- Réduire ou optimiser la distance et le mode de transport
- Choisir un hébergement simple, bien placé, qui limite les déplacements et les gaspillages
- Remplacer une partie des activités chères et carbonées par des expériences locales et sobres
Le reste, c’est surtout une affaire d’habitudes. Et comme souvent, les enfants s’adaptent très bien, à condition que les adultes soient clairs sur le cap… et cohérents avec leurs propres choix. Les prochaines vacances sont peut-être l’occasion de tester cette approche, par petites touches, sans pression de perfection. L’important, ce n’est pas d’être irréprochable, c’est de se déplacer dans la bonne direction, en famille.