Tu remplis ta gourde à la va-vite au robinet avant de partir au boulot. Deux heures plus tard, un collègue te lance : « Tu bois vraiment l’eau du robinet, toi ? Avec tous les pesticides et les résidus de médicaments ? »
En Suisse, la scène se répète souvent. On a une eau réputée « parmi les meilleures du monde », mais on tombe aussi régulièrement sur des titres alarmistes : nitrates, chlorothalonil, PFAS, microplastiques… Qui croire ? Et surtout : qu’est-ce que tu peux faire concrètement pour boire une eau sans danger, sans tomber dans la parano ?
Ce que dit la loi sur l’eau potable en Suisse
Commençons par le cadre. En Suisse, l’eau du robinet est officiellement une « denrée alimentaire ». Elle est donc soumise à la Loi sur les denrées alimentaires (LDAl) et à l’Ordonnance du DFI sur l’eau potable et l’eau des installations de baignade et de douche accessibles au public (OPBD, 817.022.11).
En pratique, cela implique :
- des limites maximales très strictes pour les bactéries, nitrates, métaux lourds et pesticides ;
- des analyses régulières par les services des eaux communaux et les laboratoires cantonaux ;
- une obligation d’informer la population en cas de problème (avis d’ébullition, interdiction de consommer, etc.).
Selon la SSIGE (Société Suisse de l’Industrie du Gaz et des Eaux), plus de 98 % de la population reçoit une eau qui respecte en permanence ces normes. Ce n’est pas une garantie absolue – aucun système n’est parfait – mais ça donne une idée du niveau de contrôle.
Autre point important : la Suisse aligne ses exigences sur les recommandations de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), qui sert de référence internationale pour la potabilité.
D’où vient l’eau qui sort de ton robinet ?
Pour comprendre les risques, il faut savoir d’où vient l’eau :
- Environ 80 % de l’eau potable suisse vient des nappes phréatiques et des sources.
- Environ 20 % vient des grands lacs (Léman, Zurich, Constance, etc.).
Les sources et nappes sont généralement mieux protégées mais plus sensibles aux activités agricoles locales (engrais, pesticides). L’eau de lac, elle, est souvent plus stable mais nécessite un traitement plus lourd (filtration, désinfection).
Dans certaines régions rurales à forte agriculture, le risque principal, ce ne sont pas les bactéries mais les pesticides et nitrates. En zone urbaine dense, on surveille davantage les résidus industriels, solvants, métaux. D’où l’importance de regarder ce qui se passe chez toi, et pas seulement des moyennes nationales.
L’eau du robinet est-elle vraiment sûre ?
Passons aux questions qui fâchent.
Globalement, oui, l’eau du robinet suisse est sûre pour la grande majorité des gens, y compris les enfants. Mais ce « oui » s’accompagne de quelques bémols.
Les vrais risques à connaître (et ceux qu’on surestime)
Dans les débats sur l’eau, tout est mis dans le même sac. Or, les risques n’ont ni la même probabilité ni la même gravité. Petit tri.
Les risques microbiologiques (bactéries, virus, parasites)
En Suisse, c’est rarement un problème au quotidien grâce au traitement et au contrôle. Quand il y a un souci (inondations, rupture de conduite, contamination ponctuelle), les autorités publient rapidement un avis d’ébullition ou d’interdiction de consommer.
Dans ces cas, faire bouillir l’eau au moins 1 minute (3 minutes en altitude) suffit à éliminer la plupart des germes.
Pour les personnes fragiles (immunodéprimés, personnes âgées très vulnérables), certains médecins recommandent de :
- boire de l’eau bouillie ou filtrée (avec un filtre certifié) en cas d’avis sanitaire ;
- éviter les carafes filtrantes mal entretenues, qui peuvent devenir des nids à bactéries.
Pesticides, nitrates et résidus chimiques
C’est le sujet le plus sensible en Suisse depuis quelques années, surtout avec le cas du chlorothalonil, un fongicide agricole interdit depuis 2020, dont les métabolites ont été retrouvés dans certaines nappes phréatiques.
Ce qu’il faut retenir :
- Les limites suisses pour les pesticides dans l’eau potable sont très strictes : généralement 0,1 μg/L par substance (une millionième de gramme par litre).
- Dans certaines zones agricoles, ces valeurs ont été dépassées, ce qui a conduit à des mises à niveau des captages, voire à l’abandon de certaines sources.
- Les nitrates sont surveillés de près : la limite suisse pour l’eau potable est de 40 mg/L (plus stricte que la norme européenne à 50 mg/L).
Pour les nitrates, l’enjeu principal concerne les nourrissons (risque de méthémoglobinémie). En pratique, si tu suis les recommandations de ton pédiatre pour l’eau utilisée dans les biberons (souvent eau du robinet testée/autorisé localement ou eau en bouteille adaptée), le risque est très faible.
PFAS, microplastiques et résidus de médicaments
Ces mots-clés reviennent souvent, pas toujours avec nuance.
PFAS (les « polluants éternels ») : ce sont des substances très persistantes utilisées dans les revêtements antiadhésifs, mousses anti-incendie, textiles, etc.
- Des traces de PFAS ont été détectées dans certains cours d’eau et nappes en Suisse, comme ailleurs en Europe.
- Pour l’instant, les concentrations dans l’eau potable restent très en dessous des valeurs limites recommandées par l’OMS, mais la surveillance s’intensifie.
Microplastiques : on en trouve dans presque tous les milieux, mais dans l’eau potable suisse, les niveaux mesurés restent faibles et leur impact sanitaire exact est encore en cours d’étude. Eawag (Institut suisse des sciences et technologies de l’eau) considère que ce n’est pas, aujourd’hui, le risque prioritaire par rapport aux pesticides ou nitrates.
Résidus de médicaments : ils sont surtout problématiques pour les écosystèmes aquatiques. Après traitement, les quantités restantes dans l’eau potable sont extrêmement faibles, loin des doses thérapeutiques.
Le maillon faible : les installations dans ton immeuble
On l’oublie souvent : les services des eaux sont responsables jusqu’au compteur du bâtiment. Après, c’est la tuyauterie de ton immeuble qui prend le relais. Et c’est là qu’il peut y avoir des surprises.
Dans les bâtiments anciens (avant les années 1970), on peut encore trouver :
- des conduites en plomb ou des éléments en alliages contenant du plomb ;
- des tuyaux corrodés qui peuvent relarguer du cuivre, du zinc ou d’autres métaux ;
- des installations mal entretenues qui favorisent le développement de légionelles dans l’eau chaude sanitaire.
Les symptômes d’une eau « plombée » ne se voient pas à l’œil nu ni au goût. Le risque existe surtout pour :
- les femmes enceintes ;
- les jeunes enfants (effets sur le développement neurologique).
Si tu habites dans un immeuble très ancien, que les travaux de rénovation datent, ou que tu as un doute, le réflexe rationnel n’est pas de courir acheter des packs d’eau, mais de :
- demander à ta gérance ou à ton propriétaire la date de la dernière rénovation de la tuyauterie ;
- faire réaliser un test de métaux lourds sur l’eau du robinet par un laboratoire reconnu (coût modéré, surtout si réparti entre plusieurs locataires).
Robinet vs bouteilles : qui gagne vraiment ?
Sur le plan sanitaire, l’eau en bouteille n’est pas magiquement « plus pure » que l’eau du robinet suisse.
Comparons quelques points clés.
Qualité sanitaire :
- Les deux sont considérées comme des denrées alimentaires et doivent respecter des normes.
- Les eaux minérales peuvent contenir des niveaux élevés de minéraux (calcium, sodium, fluor, etc.). Ce n’est pas un problème en soi, mais certaines ne sont pas adaptées à un usage quotidien ou pour les nourrissons.
Contrôles :
- L’eau du robinet est contrôlée très régulièrement, parfois plusieurs fois par semaine sur certains paramètres.
- Les eaux en bouteille sont contrôlées, mais la fréquence et la transparence varient selon les marques.
Environnement et portefeuille :
- Selon la SSIGE, 1 litre d’eau du robinet coûte en moyenne 0,2 centime, contre 40 à 100 centimes pour une eau en bouteille.
- L’empreinte carbone d’un litre d’eau en bouteille peut être jusqu’à 1000 fois supérieure à celle de l’eau du robinet (transport, plastique, production).
Autrement dit : si ta seule motivation pour acheter de l’eau en bouteille est la « pureté », tu paies surtout pour la psychologie (et le marketing).
Faut-il filtrer l’eau chez soi ?
Carafes filtrantes, osmose inverse, filtres sous évier… Le marché est florissant. Mais est-ce vraiment utile ?
Carafes filtrantes (type Brita et consorts) :
- Avantage : améliorent parfois le goût (moins de chlore, eau un peu plus « douce »), réduisent certains métaux et composés organiques.
- Inconvénients majeurs : si le filtre est mal entretenu ou changé trop tard, prolifération bactérienne et recontamination de l’eau.
Les autorités sanitaires (OFSP) rappellent régulièrement que ces carafes ne sont pas nécessaires en Suisse du point de vue de la sécurité sanitaire, mais qu’elles ne sont pas dangereuses non plus si l’entretien est irréprochable.
Filtres à charbon actif sous évier ou sur robinet :
- Peuvent réduire certains pesticides, solvants et composés organiques.
- Doivent être certifiés (normes NSF, par exemple) et entretenus très régulièrement.
Osmose inverse :
- Très efficace pour éliminer une large gamme de contaminants (dont certains PFAS, nitrates, métaux).
- Mais coûteux, gourmand en eau (rejet) et élimine aussi les minéraux, ce qui n’est pas forcément souhaitable pour une consommation quotidienne sans avis médical.
Dans la grande majorité des cas en Suisse, un filtre n’est pas nécessaire pour la sécurité. Il peut se justifier si :
- tu habites dans une zone avec des problèmes documentés (pesticides, nitrates) ;
- ton installation d’immeuble est ancienne et la rénovation n’est pas envisageable à court terme ;
- tu fais un choix personnel très prudent, en acceptant le coût et la discipline d’entretien.
Eau « dure », calcaire et goût : une question de confort, pas de santé
Selon la région, ton eau peut être très dure (beaucoup de calcaire) ou plutôt douce. C’est ce qui laisse des traces blanches sur ta bouilloire ou ton pommeau de douche.
Bonne nouvelle : le calcaire est inoffensif pour la santé. Au contraire, il apporte du calcium et du magnésium, deux minéraux utiles.
En revanche, il peut :
- détériorer les appareils (résistance de chauffe-eau, machines à café) ;
- donner une sensation de « goût » que certains n’aiment pas.
Si le goût te gêne :
- remplis une carafe et laisse-la reposer au frigo quelques heures (le chlore s’évapore, le goût s’adoucit) ;
- utilise une carafe filtrante ou un filtre simple, mais en respectant scrupuleusement les consignes d’hygiène.
Quelques situations particulières : quand être plus vigilant
Pour les nourrissons :
- Renseigne-toi auprès de ton pédiatre et de ton service des eaux local pour savoir si l’eau du robinet est adaptée à la préparation des biberons.
- Dans certains cas (nitrates élevés, tuyauterie douteuse), il peut être recommandé d’utiliser une eau en bouteille adaptée aux nourrissons.
En voyage ou en randonnée en Suisse :
- La plupart des fontaines publiques sont potables, surtout en ville. Quand ce n’est pas le cas, c’est généralement indiqué (« Eau non potable »).
- En montagne, les fontaines de villages sont souvent potables, mais les filets d’eau en pleine nature ne le sont pas toujours (présence éventuelle d’animaux en amont).
En cas d’avis officiel (inondation, incident sur le réseau) :
- Suis scrupuleusement les consignes de ta commune ou du canton.
- Si on te demande de faire bouillir l’eau, fais-le vraiment (1 minute d’ébullition franche, 3 minutes en altitude).
Les gestes simples pour boire une eau sûre chaque jour
Pour sortir des débats abstraits, voilà une série d’actions concrètes, simples et pragmatiques pour limiter les risques sans te ruiner.
- Laisse couler quelques secondes l’eau froide si le robinet n’a pas été utilisé depuis plusieurs heures (nuit, vacances). Cela permet d’évacuer l’eau qui a stagné dans les tuyaux.
- Utilise toujours l’eau froide pour la boisson et la cuisine (l’eau chaude passe par le boiler, plus de risques de métaux et de légionelles).
- Informe-toi sur ton eau locale : la plupart des services des eaux publient des rapports détaillés (origine, dureté, nitrates, pesticides). Tape « nom de ta commune + eau potable + rapport » dans ton moteur de recherche.
- En immeuble ancien, pose la question de la tuyauterie à la gérance. Si nécessaire, propose un test collectif des métaux lourds via un laboratoire reconnu.
- Si tu choisis de filtrer ton eau, privilégie un système certifié, lis vraiment le mode d’emploi, et note dans ton agenda les dates de changement de cartouche.
- Entretiens ton robinet : dévisse régulièrement le mousseur/aérateur et nettoie-le (dépôts, biofilm).
- Réduis le plastique inutile : remplace les packs d’eau par une gourde réutilisable (inox ou verre) et remplis-la au robinet. C’est meilleur pour ton porte-monnaie et pour la planète.
- En cas de doute ponctuel (travaux dans la rue, eau trouble ou odeur inhabituelle), contacte ton service des eaux. Il vaut mieux un coup de fil de trop qu’un problème ignoré.
Boire une eau sans danger en Suisse, ce n’est pas une affaire de peur permanente ou de croyance dans la « pureté » magique d’une source en bouteille. C’est surtout une histoire d’information locale, de quelques réflexes simples et d’un peu de sens critique face au marketing comme aux discours catastrophistes.
En résumé : pars du principe que ton eau du robinet est sûre, vérifie-le avec des faits (rapports, tests), adapte si besoin (filtre, travaux, eau spécifique pour bébés), et garde les bouteilles en plastique pour les situations où tu n’as vraiment pas le choix.
