Les initiatives citoyennes qui font bouger les choses en suisse et comment y participer

Les initiatives citoyennes qui font bouger les choses en suisse et comment y participer

Un samedi matin, à Genève. Sur une place de quartier, une bande de voisins répare des grille-pains, trie des semences, discute de politique énergétique… pendant que des enfants apprennent à réparer un pneu de vélo. Pas d’élection à l’horizon, pas de grande ONG en vue. Juste des citoyennes et des citoyens qui ont décidé de s’y mettre eux-mêmes.

On a tendance à réduire la participation en Suisse aux urnes et aux votations. Mais entre deux bulletins glissés dans l’urne, il se passe beaucoup de choses. Partout dans le pays, des initiatives citoyennes transforment des trottoirs en potagers, des parkings en places de jeu, des immeubles en mini-communautés solidaires.

Tour d’horizon de ce qui bouge vraiment sur le terrain, et surtout, comment vous pouvez vous y greffer sans y laisser tous vos week-ends.

Les initiatives de quartier : la politique à 50 mètres de chez soi

Commençons par ce qui se voit… au coin de la rue. Les initiatives de quartier sont souvent la porte d’entrée la plus simple pour s’engager.

Quelques exemples très concrets :

  • Potagers urbains : à Lausanne, Zurich, Fribourg ou Bâle, des associations mettent à disposition des bacs ou des parcelles à cultiver en commun. Le but n’est pas de devenir autosuffisant, mais de recréer du lien et de verdir la ville.
  • Composts de quartier : dans de nombreuses communes, des habitants gèrent ensemble un compost partagé, souvent avec le soutien de la ville (subventions, mise à disposition d’un terrain, accompagnement technique).
  • Rues aux enfants : certaines villes ferment temporairement une rue à la circulation pour la transformer en espace de jeu ou de rencontre. L’initiative vient souvent de parents et de voisins.

Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), environ un tiers de la population adulte suisse s’engage déjà bénévolement (chiffres 2022, engagement formel ou informel). Une bonne partie de cet engagement se joue justement à cette échelle-là : celle de l’immeuble, du pâté de maisons, du quartier.

Comment participer :

  • Renseignez-vous auprès de votre commune : beaucoup ont une déléguée ou un délégué à la vie de quartier ou un service de cohésion sociale.
  • Cherchez des groupes locaux sur des plateformes comme Neon, Meetup, Facebook ou simplement sur le site de la ville.
  • Osez poser la question dans votre immeuble ou à votre régie : « Il existe un groupe de quartier ? » Vous serez parfois surpris de découvrir qu’il y en a un… mais discret.

Vous n’avez pas la main verte ? Pas grave. Ces projets ont autant besoin de personnes qui savent communiquer, organiser un doodle, faire un flyer, gérer un budget… que de pros du terreau.

Les “grandes” initiatives citoyennes : quand la base change les règles du jeu

En Suisse, les citoyennes et citoyens ne se contentent pas de signer des pétitions : ils peuvent directement lancer des initiatives populaires (niveau fédéral, cantonal ou communal). C’est une forme de démocratie directe… mais aussi d’initiative citoyenne très concrète.

Vous avez probablement entendu parler de :

  • l’initiative pour les glaciers, lancée en 2019 par un collectif citoyen pour exiger une politique climatique plus ambitieuse,
  • les nombreuses initiatives communales pour des villes 30 km/h, plus de pistes cyclables ou la réduction du trafic de transit,
  • les initiatives locales pour protéger des espaces verts menacés par des projets immobiliers.

Entre 1891 et 2023, plus de 220 initiatives populaires fédérales ont été soumises au vote (source : Chancellerie fédérale). Certaines échouent, d’autres passent, mais presque toutes font bouger les lignes, ne serait-ce qu’en obligeant les autorités et les partis à se positionner.

Important : on confond souvent “initiative citoyenne” et “initiative populaire”. La première peut être un simple projet de quartier, sans cadre légal particulier. La seconde est un outil institutionnel, avec règles, délais et signatures à récolter.

Comment participer sans tout plaquer pour devenir militant à plein temps :

  • Signer (en connaissance de cause) : prenez l’habitude de lire le texte, pas seulement le slogan.
  • Aider ponctuellement à une récolte de signatures dans votre commune.
  • Mettre à disposition une table, un hall d’immeuble ou un commerce comme point de signature.
  • Relayer des explications claires (pour ou contre) autour de vous, en vous appuyant sur des sources neutres comme easyvote, les brochures de la Confédération ou des médias reconnus.

Même ce niveau d’engagement “light” contribue à la qualité du débat public.

Économie circulaire, repair cafés et partage : moins de déchets, plus de liens

Autre terrain où les initiatives citoyennes explosent : l’économie circulaire. L’idée est simple : au lieu de jeter et racheter, on répare, on partage, on mutualise.

En Suisse, on trouve notamment :

  • Les Repair Cafés : des événements réguliers où des bénévoles aident à réparer des objets (électroménager, vêtements, vélos…). L’association Repair Café Suisse recense des dizaines de lieux et dates sur son site.
  • Les bibliothèques d’objets : on y emprunte une perceuse, un appareil à raclette ou une tente comme on emprunte un livre. Zurich, Berne, Lausanne ou Genève en ont déjà plusieurs.
  • Pumpipumpe : un projet né à Berne qui propose des autocollants à coller sur sa boîte aux lettres pour indiquer quels objets on est prêt à prêter à ses voisins (outils, jeux, etc.). Simple, low-tech, efficace.

Selon l’OFS, chaque habitant en Suisse génère en moyenne plus de 700 kg de déchets par an (données 2021). Réparer un grille-pain ou partager une perceuse ne va pas tout changer d’un coup, mais ces micro-gestes collectifs attaquent le problème par la racine : notre rapport aux objets.

Comment vous impliquer :

  • Trouvez le Repair Café le plus proche via le site national ou celui de votre commune.
  • Proposez vos compétences (couture, informatique, graphisme) quelques heures par mois.
  • Si rien n’existe près de chez vous, commencez par un mini Repair Café dans une salle de paroisse, une maison de quartier ou même un grand salon privé. Trois bricoleurs, une table, du café : c’est suffisant pour démarrer.

Bonus : ces initiatives attirent un public très varié en âge, en origine sociale, en compétences. C’est un excellent antidote à la fameuse “bulle” dans laquelle on reste trop souvent.

Solidarité et inclusion : quand les voisins deviennent un filet social

Les services sociaux officiels ne peuvent pas tout. Et ils ne doivent pas tout faire. De plus en plus de projets comblent les trous de la raquette en s’appuyant sur la solidarité de proximité.

Quelques exemples répandus en Suisse :

  • Tables d’hôtes et épiceries solidaires : des associations proposent des repas à prix libre ou des denrées à tarif réduit, souvent en lien avec la redistribution de surplus alimentaires.
  • Parrainage de personnes réfugiées : des programmes cantonaux ou associatifs mettent en lien des personnes migrantes avec des habitants de longue date, pour du soutien administratif, linguistique ou simplement des moments de vie partagés.
  • Réseaux d’entraide de quartier : coups de main pour les courses, garde ponctuelle d’enfants, accompagnement chez le médecin pour des personnes âgées… parfois coordonnés via des plateformes de type timebanking (banques de temps).

D’après différentes enquêtes sociales (p. ex. Enquête sur la cohésion sociale, OFS), environ une personne sur deux en Suisse donne déjà du temps de manière informelle à son entourage élargi (famille, voisins, connaissances).

Où trouver ces initiatives :

  • Sites cantonaux ou communaux (rubriques “social”, “intégration”, “vie associative”).
  • Plateformes nationales comme Bénévolat-Vaud, Benevol Suisse, Caritas, Croix-Rouge et leurs antennes régionales.
  • Maisons de quartier, centres paroissiaux, points d’appui sociaux.

L’enjeu ici est double : offrir un coup de main ciblé, mais aussi éviter que certaines personnes glissent dans l’isolement complet. Quelques heures par mois suffisent souvent pour faire la différence, surtout si plusieurs voisins s’y mettent.

Numérique, climat, mobilité : les nouveaux terrains de jeu civique

Autre évolution marquante : les initiatives citoyennes investissent des sujets longtemps considérés comme trop “techniques” ou réservés aux experts.

On voit par exemple :

  • Des collectifs pro-vélo qui cartographient les “points noirs” de sécurité et interpellent les autorités avec des données précises.
  • Des groupes citoyens qui se penchent sur la qualité de l’air en installant des capteurs low-cost et en publiant les résultats.
  • Des mouvements climatiques locaux organisant des ateliers, des actions de sensibilisation, voire des projets concrets comme des micro-forêts urbaines.

Le point commun : ces projets mélangent souvent données, technologie et participation. Ils montrent que le citoyen n’est pas condamné à subir les décisions “techniques”, mais peut contribuer à les éclairer.

Comment embarquer si vous n’êtes ni ingénieur ni climatologue :

  • Proposer vos compétences “non techniques” (communication, traduction, pédagogie, logistique).
  • Participer à la collecte de données (comptage de vélos, mesures participatives, enquêtes citoyennes).
  • Relayer les résultats de manière accessible autour de vous, pour éviter que tout reste dans un cercle de spécialistes.

Si vous aimez apprendre en faisant, c’est typiquement le genre d’initiatives où l’on progresse vite au contact des autres.

Comment trouver une initiative qui vous ressemble

Face à cette profusion, la vraie question n’est plus “Y a-t-il quelque chose près de chez moi ?”, mais plutôt “Comment ne pas se disperser ?”. Quelques repères pour vous y retrouver.

1. Clarifier ce que vous pouvez réellement donner

  • Temps : une heure par semaine ? une soirée par mois ? un week-end par trimestre ? Soyez honnête, surtout avec vous-même.
  • Énergie mentale : envie de réfléchir à des projets, de gérer des conflits, de négocier avec la commune ? Ou plutôt de donner un coup de main simple et ponctuel ?
  • Compétences : ce que vous savez déjà faire (ou avez envie d’apprendre) peut aider à choisir entre un potager, un Repair Café ou un collectif de données ouvertes.

2. Utiliser les bons “radars”

  • Le site de votre commune (rubriques “associations”, “participation”, “vie de quartier”).
  • Les plateformes cantonales de bénévolat.
  • Les réseaux sociaux : tapez le nom de votre ville + “transition”, “repair café”, “vélo”, “jardin partagé”, “entraide” dans un moteur de recherche ou sur Facebook/Instagram.
  • Les écoles, maisons de quartier, bibliothèques : souvent des flyers traînent sur un panneau d’affichage que personne ne regarde… sauf vous.

3. Tester sans vous marier

Vous avez le droit :

  • d’assister à une réunion sans promettre de revenir,
  • d’aider à un événement unique pour voir si l’ambiance vous convient,
  • de changer d’initiative si la première ne vous parle pas.

L’objectif n’est pas de vous rajouter une couche de culpabilité (“je ne fais jamais assez”), mais de trouver un format d’engagement compatible avec votre vie réelle.

Passer de participant à initiateur : mode d’emploi minimaliste

Et si, malgré tout, vous ne trouvez rien qui vous parle franchement ? Dans ce cas, vous faites face à une situation à haut potentiel : le premier qui ose lancer quelque chose crée souvent une dynamique inattendue.

Pas besoin de monter une fondation ou d’écrire des statuts de 15 pages. Voici une version très allégée du “comment lancer une initiative citoyenne locale” :

Étape 1 : Nommer le problème… ou le désir

Exemples :

  • “La cour de l’école est vide le week-end, ce serait parfait pour un atelier vélo.”
  • “La rue est dangereuse pour les enfants, on aimerait un jour sans voitures par mois.”
  • “Personne ne sait vraiment qui habite l’immeuble, on pourrait organiser un apéro de voisinage.”

Plus c’est concret, plus c’est mobilisateur.

Étape 2 : Trouver deux ou trois alliés

Si vous êtes seul, vous allez vous épuiser. Avec simplement deux ou trois personnes :

  • les idées se testent plus vite,
  • les tâches se répartissent naturellement,
  • le projet paraît plus crédible face aux autorités (“nous” plutôt que “je”).

Cherchez ces alliés dans votre immeuble, à la sortie de l’école, lors d’événements locaux ou via des groupes en ligne.

Étape 3 : Démarrer petit, mais visible

  • Un atelier test (jardinage, réparation, café-discussion) plutôt qu’un cycle de 12 rencontres.
  • Un apéro de rue avant de demander une piétonnisation permanente.
  • Un sondage maison (papier ou en ligne) pour vérifier que d’autres partagent votre souci.

L’idée est d’avoir rapidement quelque chose à montrer : une photo, un témoignage, un mini-bilan. Ça aide ensuite pour convaincre la commune, un bailleur ou un sponsor local.

Étape 4 : Parler tôt aux “bons” interlocuteurs

En Suisse, beaucoup de communes sont étonnamment ouvertes aux projets portés par des habitants… à condition que quelqu’un ose frapper à la porte.

Selon la taille de la commune, les bons interlocuteurs peuvent être :

  • la/le délégué·e à la jeunesse, à la cohésion sociale ou au développement durable,
  • un·e municipal·e en charge de l’espace public, de la culture ou des sports,
  • le service des espaces verts, de la mobilité ou des bâtiments communaux.

Préparez une page A4 claire : le problème, ce que vous proposez, qui est impliqué, ce que vous demandez (et ce que vous pouvez offrir). Pas besoin de storytelling compliqué, la simplicité est un atout.

Étape 5 : Protéger votre énergie

Côté pile, lancer une initiative donne de l’énergie. Côté face, ça peut aussi en consommer beaucoup. Quelques garde-fous utiles :

  • poser des limites claires (jours, horaires, durée de l’engagement),
  • refuser poliment certaines demandes si elles dépassent vos moyens,
  • documenter dès le début (fichiers partagés, compte-rendu simple) pour que d’autres puissent reprendre le flambeau au besoin.

Et maintenant, on fait quoi ?

Les chiffres le montrent : la Suisse n’est pas un désert de l’engagement. Une grande partie de la population donne déjà du temps, des compétences ou de l’argent à des projets collectifs. Mais entre les statistiques officielles et votre environnement direct, il y a parfois un fossé.

Si vous avez lu jusqu’ici, vous êtes probablement déjà dans une forme d’attention active. Pour la transformer en action, reste à franchir deux petits pas très concrets :

  • Repérer : dans la semaine, notez tout ce qui, autour de vous, ressemble à une initiative citoyenne (affiches, panneaux, activités, groupes). Rien que cet “exercice du radar” change le regard.
  • Tester : choisissez une initiative (ou un événement) à laquelle participer dans le mois. Une fois. Sans engagement. Juste pour voir.

Le reste suit rarement un plan parfait. Les rencontres, les envies, les opportunités redessinent le chemin. Mais une chose est sûre : entre le bulletin de vote et le repli individuel, il existe une large zone où des citoyennes et citoyens ordinaires font bouger des choses très concrètes. Cette zone-là, en Suisse, est loin d’être vide. À vous de voir comment vous avez envie de l’habiter.